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Afrique: Existe-t-il un sentiment anti-français ou pro-africain ?

Existe-t-il vraiment un "sentiment anti-français" en Afrique ? Depuis plusieurs années cette expression a fait irruption dans le paysage médiatique franco-africain, résumant ainsi une certaine hostilité notée en Afrique francophone envers la politique française sur le continent. Mais loin d’être un ressentiment ou une subjectivité sociale non-soutenue, ce qui est perçu comme un sentiment anti-français semble pourtant être symbolisé par le rejet de la "FrançAfrique", mais surtout, par l’émergence d’une quête de souveraineté: un sentiment plutôt "pro-africain".

La rédaction
14:44 - 22/08/2023 Salı
MAJ: 15:24 - 22/08/2023 Salı
Yeni Şafak
Crédit photo: STRINGER / AFPTV / AFP
Crédit photo: STRINGER / AFPTV / AFP

Mars 2021, le Sénégal fait face à des émeutes suite à l’arrestation de l’opposant charismatique anti-système Ousmane Sonko. Plusieurs enseignes françaises comme Total et Auchan sont prises pour cible. Les manifestants reprochant à la France son soutien au Président Macky Sall désireux selon eux, d’éliminer Ousmane Sonko de la prochaine élection présidentielle de 2024. Au Mali, au Burkina Faso et au Niger, les mêmes scènes, plus intenses encore, sont notées lors de coups d’Etat militaires, évinçant du pouvoir des Présidents, perçus comme étant garants des intérêts de la France et moins de leur peuple. Les ambassades françaises sont prises pour cible et deviennent, à défaut d’être saccagées, des points de rassemblement pour dénoncer, non la France, mais la politique française en Afrique. Derrière ces manifestations, se cache un profond malaise qui se nourrit d’histoire coloniale mais surtout d’une mutation sociologique et sociopolitique sur le continent.


Une génération éveillée, une autre perception de l’histoire


Le paysage sociopolitique africain a considérablement changé. Jadis, si la réflexion politique appartenait exclusivement à une certaine élite, aujourd’hui, les choses semblent avoir changé. Il y a un accès considérable à la connaissance, aux détails de l’histoire, mais surtout une restitution de la pensée des figures de contestation qui ont jalonné les murs de l’histoire de l’Afrique. Si l’information et le contrôle de l’information étaient aussi destinés à un cercle restreint, les nouvelles technologies, les réseaux sociaux en tête de peloton, ont changé le paysage médiatique et sociopolitique de l’Afrique. Ces facteurs couplés, l’Africain se situe parfaitement au carrefour de la libéralisation de l’information et de l’invocation de l’histoire pour déterminer désormais son futur. Cela, certaines puissances aux politiques impérialistes caduques, semblent ne pas encore l’avoir pris en compte.


Il y a une jeunesse africaine qui s’oriente désormais à la lecture de Patrice Lumumba, de Thomas Sankara, de Cheikh Anta Diop, et qui se voit pour certains, dans le discours néo-panafricaniste d’Ousmane Sonko, pour d’autres, de Kemi Seba ou de Nathalie Yamb. Mais s’il y a un élément qui échappe à certains analystes limités, c’est que cette mutation politique ne prend pas pour cible uniquement la France, comme Emmanuel Macron semble l’insinuer dans ses discours. Il est plutôt question d’une quête de souveraineté totale, indépendamment d’une telle puissance ou d’une autre. Mais l’héritage colonial et post-colonial de la France en Afrique est tellement pointu et marquant, qu’il est naturellement indexé, mis en premier au banc des accusés, et à juste titre.

France: le déni de ses turpitudes


Derrière l’expression du "sentiment anti-français" fortement véhiculée par les médias et "experts" français, le dessein est visiblement d’infantiliser ou de décrédibiliser cette vague d’hostilité notée sur le continent vis-à-vis de Paris. Il y a chez la France, un certain déni de la réalité historique de la coopération déséquilibrée entre elle et le continent, qui puisse pourtant pousser l’Africain a naturellement aspirer à mieux ; mais il y a aussi le déni condescendant à l’Africain, de pouvoir faire ses choix en vertu de son histoire, de son expérience, de ses réalités, de ses aspirations et de sa géopolitique. Pour certaines puissances, l’Africain n’est pas capable d’accéder à
"sa propre vérité par sa propre investigation intellectuelle"
, pour reprendre Cheikh Anta Diop.

"Derrière l’utilisation de l’expression 'sentiment anti-français', alors, nous entrevoyons un mépris et une insulte à l’égard des populations africaines, et particulièrement des plus jeunes, investies dans des mouvements de contestation. Elles sont présentées là comme irrationnelles et facilement manipulables – jadis par la France, mais désormais par la Russie ou la Chine –, incapables d’opérer des choix rationnels, fondés sur des calculs entre les coûts et les bénéfices de la coopération de leurs pays avec tel ou tel pays partenaire – dans quelques secteurs qu’il soit",
dénoncent les chercheurs doctorants Fassou David Condé et Dimitri M’Bama (sur Jeune Afrique).

Et pourtant, les arguments ne manquent pas pour comprendre le choix de la jeunesse africaine, de questionner les relations franco-africaines. Le Franc CFA, monnaie coloniale utilisée encore par 15 pays, est perçu comme un instrument économique de soumission, ne privilégiant que les entreprises françaises en Afrique. L’interventionnisme français, précisément en Côte d’Ivoire, en Libye, son rôle au Rwanda, sont des épisodes de l’histoire qui ont fini de placer la France sur un piédestal de l’impérialisme. La présence militaire française en Afrique, qui manque de discrétion et d’efficacité dans la lutte contre l’insécurité et les groupes armées, ne penche pas en faveur du Quai d’Orsay. Le soutien visible de la France aux leaders impopulaires comme Ouattara et Macky Sall, le silence de Paris même sur les dérives autoritaires de ce dernier depuis plusieurs années au Sénégal (jadis ilot de stabilité et de démocratie), continuent de mettre les projecteurs sur une FrançAfrique à laquelle il faut nécessairement mettre fin.


Sentiment anti-français ou pro-africain au final ?


Il n’y a pas vraiment de sentiment anti-français. C’est la politique française en Afrique qui est dénoncée et qu’il faut nécessairement remodéliser aux grès des mutations du paysage sociopolitique africain. Les symboles français qui sont attaqués lors de manifestations ne visent pas la France mais plutôt les instruments d’une coopération déséquilibrée et qui maintient un parfum de néocolonialisme.

C’est une puissance dont le soft power sur le continent n’a plus d’effet. La France renvoie une mauvaise image en Afrique, qui rend sa politique encore plus impopulaire qu’auparavant. En 2020, un sondage réalisé par l’Ichikowitz Family Foundation, un organisme sud-africain, auprès de jeunes de plusieurs pays, indiquait que 71 % des Gabonais, 68 % des Sénégalais, 60 % des Maliens et 58 % des Togolais avaient une mauvaise opinion de la France.


Mais il ne faut pas s’y tromper : l’hostilité vis-à-vis de la France est une conséquence d’une quête d’une véritable souveraineté incarnée désormais par la jeunesse africaine. La Russie est souvent visualisée comme une nouvelle alternative, un nouveau partenaire, surtout dans le cadre sécuritaire. Mais loin d’être considéré comme "un nouveau maître" comme semblent l’évoquer certains intellectuels pro-Paris, il y a une instrumentalisation de la Russie dans les combats politiques que mènent les Africains. Les drapeaux russes brandis lors de manifestation au Mali, au Burkina ou plus récemment, au Niger, ne sont pas juste un appel à une coopération équilibrée avec Moscou, mais surtout une provocation de l’occident. La population africaine est devenue éminemment politique et quiconque veut analyser ses choix, doit comprendre qu’elle maîtrise désormais tous les compartiments de sa géopolitique. Ce qui est arrivé à la France en Afrique, pourrait arriver à la Russie ou à la Chine dans quelques années, si leur politique africaine basculait dans un impérialisme inutile.


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