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Le viol, nouvelle ligne de fracture entre Etats membres de l'UE

Le viol figurera-t-il dans la première directive européenne consacrée à la lutte contre les violences faites aux femmes? Cette question est au coeur d'un bras de fer entre Etats membres à Bruxelles, scruté de près par les associations féministes qui redoutent une occasion ratée.

09:33 - 7/10/2023 samedi
AFP
Crédit photo: OLIVIER MORIN / AFP
Crédit photo: OLIVIER MORIN / AFP

Le 8 mars 2022, la décision de la Commission européenne d'harmoniser la réponse pénale dans les pays de l'Union européenne face aux violences commises contre les femmes avait été saluée quasiment par tous, sur le papier du moins.


Un an et demi plus tard, une ligne de fracture s'est fait jour autour de la question du viol, entre les pays souhaitant qu'il soit intégré à la directive -une position défendue par la Commission et le Parlement- et ceux s'y opposant pour des raisons juridiques, au niveau du Conseil de l'UE.


Les premiers (Italie, Belgique, Grèce...) défendent la définition du viol de la Commission européenne fondée sur l'absence de consentement et figurant au chapitre 5 du projet de directive.

Les seconds (France, Pologne, Allemagne...) estiment que le viol ne relève pas de
"l'exploitation sexuelle des femmes et des enfants"
mentionnée dans le traité sur le fonctionnement de l'UE (TFUE) - qui liste les domaines pouvant faire l'objet d’une harmonisation en matière d'infractions pénales – et n'entre pas, par conséquent, dans les compétences de l'UE.

L'heure est désormais à la recherche d'un compromis dans le cadre des traditionnels
"trilogues"
entre les négociateurs du Parlement et du Conseil, sous la médiation de la Commission européenne.

Sur le terrain, les tenants de la première position accentuent la pression. A l'image de l'eurodéputé français Raphaël Glucksmann dont le mouvement Place Publique a lancé une pétition
"non au sabotage de la loi européenne"
qui a recueilli plus de 140.000 signatures.

C'est un désastre que la France se retrouve dans cette coalition de refus

"C'est assez particulier pour un gouvernement qui se prétend extrêmement pro-européen d'être soudainement ultra tatillon sur le risque d'un élargissement des compétences de la Commission européenne et de la loi européenne"
souligne l'eurodéputé (groupe Socialistes et Démocrates).

A Bruxelles, la Commissaire européenne à l'Egalité Helena Dalli a quant à elle dénoncé en juin une
"interprétation restrictive"
du TFUE, faisant valoir que cette base avait déjà été utilisée en 2011 pour la criminalisation des abus sexuels sur enfants.

"Choquant et rétrograde"


Un avis partagé par l'eurodéputée française Nathalie Colin-Oesterlé (PPE, droite) qui a écrit le 12 septembre une lettre à Emmanuel Macron, l'appelant à
"revoir sa position".

"De toute évidence, tous les Etats ne sont pas d'accord sur la définition du consentement"
, déclare-t-elle à l'AFP.
"S'il est clair au niveau Commission européenne et Parlement européen que seul un oui est un oui"
, certains Etats membres
"voudraient qu'il y ait d'autres conditions pour que ce soit considéré comme un viol"
, comme l'emploi de contrainte par exemple.

Au-delà des eurodéputés français, la position du Conseil européen fait tiquer dans plusieurs autres pays. Pour Evin Incir, eurodéputée suédoise (Socialistes et Démocrates),
"c'est une ligne rouge".

Avec l'eurodéputée irlandaise Frances Fitzgerald (PPE, droite), elle a co-signé fin septembre une tribune dans laquelle elle estime qu'exclure le viol de la directive
"serait choquant et rétrograde – une insulte envers à la fois des femmes et des hommes."

Fin mai, c'était la Belgique, la Grèce, l'Italie et le Luxembourg qui exprimaient ouvertement leur regret face au
"manque d'ambition"
, précisant
"ne pas partager"
l'analyse d'une base juridique insuffisante.

Sollicités à plusieurs reprises par l'AFP, ni la représentation permanente de la France à Bruxelles, ni le Quai d'Orsay n'ont souhaité réagir.

Selon l'Agence européenne des droits fondamentaux, une femme sur trois dans l'UE a subi des violences physiques ou sexuelles depuis l'âge de 15 ans, et une femme sur 20 a été victime de viol.


"Les femmes et les filles en Europe ne peuvent plus attendre"
, a prévenu lundi le lobby européen des femmes.

D'autant que la fenêtre de tir est étroite, abonde Camille Butin, conseillère en plaidoyer pour le réseau européen de la Fédération internationale pour le planning familial.
"Les élections européennes ont lieu en juin prochain, il n'y aura pas de nouvelle proposition de directive".

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