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Sénégal: Ousmane Sonko, le "système" et les immenses enjeux d’une élection présidentielle

Le Sénégal choisira un nouveau président de la république le 25 février 2024. Mais derrière ce rendez-vous républicain des sénégalais avec leur histoire, se joue l’avenir d’un système oligarchique et néocolonialiste édicté par la France et dont les murs tremblent sous le discours anti-impérialiste d'Ousmane Sonko.

La rédaction
12:14 - 7/12/2023 Perşembe
MAJ: 12:58 - 7/12/2023 Perşembe
Yeni Şafak
Le principal opposant sénégalais, Ousmane Sonko.
Crédit Photo : Facebook / Facebook
Le principal opposant sénégalais, Ousmane Sonko.
Le Président Macky Sall a annoncé il y a six mois qu’il ne briguerait pas un troisième mandat à la tête du Sénégal. Le chef d’Etat de ce pays d’Afrique de l’Ouest, aux commandes depuis 2012, même s’il s’arroge tout le mérite de cette décision au nom d'un
"code d'honneur"
, a été visiblement soumis à une pression infernale, autant à l’intérieur du pays qu’en dehors.

Macky Sall a dû faire face à une opposition dite
"radicale"
depuis sept à huit ans, avec à sa tête Ousmane Sonko, sorti 3e de l’élection présidentielle de 2019, et qui est apparu comme une menace réelle aux intérêts d’un "système" qu’il n’a cessé de dénoncer. Le bras de fer initié par le régime de Sall contre cet ancien inspecteur des impôts que le Président avait lui-même radié de la fonction publique en 2016 (pire décision de sa présidence sans doute dira-t-on), a tenu en haleine le pays ces trois dernières années.

Les dossiers judiciaires empilés contre l’opposant, emprisonné depuis le 28 juillet, sous-tendus par la perception publique d’une instrumentalisation de la justice pour éliminer le principal opposant (devenu une habitude sous Macky Sall), ont donné lieu a des scènes d’émeutes d’une rare violence dans l’histoire de ce pays, pourtant jadis, perçu comme un îlot de démocratie et de stabilité politique en Afrique de l’Ouest. Envisager un troisième mandat dans cette atmosphère serait la goutte de trop, même du goût de la France, perçue comme le plus grand allié de Sall et qui, selon l'ancien directeur de la DGSE (Direction Générale de la Sécurité Extérieure) Alain Juillet, a demandé à son "partenaire" d’oublier ce mandat de plus et de céder le fauteuil à Amadou Ba (malgré toute l’impopularité de celui-ci). Derrière les tractations diplomatiques majeures autour des émeutes, la presse sénégalaise a rapporté aussi les interventions d’un certain Barack Obama, pour que Sall oublie son objectif.


Sonko face au système


Ces coulisses diplomatiques confirment surtout l’importance du Sénégal, aussi petit pays qu’il soit, dans la géopolitique mondiale. L’importance géopolitique sénégalaise s’est surtout renforcée depuis la découverte d’immenses réserves (pour un si petit pays) de gaz et de pétrole, dont les premières productions sont attendues pour 2024-2025. Cette nouvelle réalité géopolitique a renforcé les enjeux d’une élection qui était déjà tendue depuis l’émergence du PASTEF et de son chef, Ousmane Sonko.

Sonko, devenu l’un des nouveaux visages de l’anti-impérialisme et du panafricanisme, a des ambitions qui font vibrer autant Dakar que Paris. L’ancien inspecteur des impôts, dont les Live Facebook nocturnes ont réussi à ressembler une bonne partie de la population sénégalaise autour d’un "Projet", a réussi à dépecer de tout mystère un système oligarchique et néocolonialiste.


Pour beaucoup de sénégalais, cette élection de février 2024 est une occasion pour mettre fin à un monstre bicéphale :
une oligarchie nationale multidimensionnelle
, formée d’hommes de médias, de politiciens, de religieux, d’artistes et même de sportifs, qui profitent des richesses d’un pays au détriment d’une bonne partie de la nation et cela, depuis les indépendances ;
un système néocolonialiste perpétué par la France
et dont la partie qui s’était même éteinte, a été restaurée par Macky Sall à son accession au pouvoir, avec le symbolique retour des forces françaises à Dakar, qui a de facto fait de lui, aux yeux du public africain, un des éléments de la FrançAfrique dont il faudrait se séparer au nom de la révolution africaine en cours.

Ce "Projet", qui passe par la renégociation des contrats léonins, par un patriotisme économique, par une lutte ardente contre la corruption, par le contrôle des ressources naturelles et la mise en priorité du "Sénégalais" dans son économie, a fini de faire d’Ousmane Sonko l’homme à abattre depuis plusieurs années sur la scène politique sénégalaise.

Il ne se passe pas un jour ou la presse alimentaire sénégalaise et française n’assure un service après vente des tentatives de décrédibilisation de l’opposant sénégalais, alors que les dossiers judiciaires, longue saga pour sa candidature, n’ont réussi jusque-là qu’à renforcer la popularité hallucinante du Maire de Ziguinchor. Sa piété musulmane est même indexée par certains: décrit comme un homme incorruptible après 15 ans passés aux impôts et domaine, d’une intégrité sans faille et d’une piété musulmane apparente même dans ses discours (entre passages coraniques et Hadiths), la dernière machination médiatique trouvée par Paris (voir archives du Canard Enchaîné) et ses acolytes, contre lui, voudrait en faire un élément "salafiste" proche des Frères musulmans et financés par le Qatar.


Sans oublier ceux qui en font un élément du MFDC, mouvement rebel du sud du Sénégal où Sonko tire ses origines. Hormis le caractère stigmatisant, ces accusations qui réapparaissent subitement à chaque élection sans aucune preuve, et sans cette fois-ci, surtout mentionner les émissaires français que l’Elysée avait envoyés (ce qui avait fortement irrité Sall) à Ousmane Sonko pour chercher des
"garanties"
(qu’ils n’ont jamais eues malheureusement), ont fini au contraire, de convaincre davantage de Sénégalais autour de l’opposant.

Les enjeux géopolitiques d’une élection sénégalaise


Aujourd’hui, même si Ousmane Sonko est loin de pouvoir participer à l’élection présidentielle, son "projet" reste le favori pour la remporter. Une autre candidature sortie de PASTEF, comme celle de Bassirou Diomaye Faye, lui aussi en prison depuis plus de huit mois, devrait prendre le témoin sous le coaching de Sonko, pour signer ce que beaucoup de sénégalais perçoivent comme leur "révolution". Car, c’est de ça qu’il s’agit en fait pour la France. Si le Burkina Faso, le Niger et le Mali sont en train de faire leur révolution via des putschs militaires, le peuple sénégalais veut lui rester fidèle à sa longue tradition démocratique et accomplir la sienne via les urnes, même si la transparence des élections est devenue chimérique depuis la venue du Président Macky Sall au pouvoir.


Non seulement le système oligarchique joue sa survie au Sénégal, mais la France aussi risque de perdre l’un des derniers pans de son système néocolonialiste en Afrique de l’Ouest, si le projet de PASTEF triomphait. L’élection de février 2024 risque de faire basculer la géopolitique africaine et de mettre en péril l’influence de la France en Afrique de l’Ouest. Mais il ne s’agit pas que de Paris.

Le virement stratégique de la bande à Assimi Goita qui s’est tournée vers de nouveaux partenaires comme la Russie ou l’Iran, pourrait bien faire tâche d’huile davantage dans la sous-région. Alors que les intérêts occidentaux sont extrêmement présents sur le pétrole et le gaz sénégalais, voir le Sénégal prendre éventuellement cette trajectoire sahélienne ne semble pas vraiment plaire autant à l’Union Européenne, qu’aux Etats-Unis. Tous ces enjeux d’influence politique mais aussi économique viennent s’inviter à une élection présidentielle sénégalaise qui risque de définir à jamais l’avenir géopolitique de tout un pays. Mais la bipolarisation de la scène politique sénégalaise et la perte de popularité du régime en place, font que tout se jouera autour de la stratégie d’un seul homme : Ousmane Sonko !


Par ALIOUNE ABOUTALIB LO

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