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À la médina de Tunis, le dernier relieur cultive son art en résistant à l’air du temps

Devant le texte, nous sommes devant du temps. Un temps humain dans la mesure où il est raconté, mis en intrigue à travers des histoires, des récits et dont les écrits sont les traces.

18:45 - 12/07/2023 Çarşamba
MAJ: 19:28 - 12/07/2023 Çarşamba
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Le relieur tunisien, Mohamed Ben Sassi qui travaille dans son atelier de la Médina en Tunisie. Crédit photo: FETHI BELAID / AFP
Le relieur tunisien, Mohamed Ben Sassi qui travaille dans son atelier de la Médina en Tunisie. Crédit photo: FETHI BELAID / AFP

Depuis plus de quatre décennies, Mohamed Ben Sassi, ne cesse de faire et de défaire la temporalité des écrits en tentant de redonner vie et éclat à des opus et manuscrits exsangues, flétris, perpétuant ainsi le temps humain, grâce à son savoir-faire d’artisan de la reliure-dorure traditionnelle.


Dans son atelier sis rue de l'Agha, l’antre où s’entassent des livres anciens, rares, ravagés par le temps, l’homme à la blouse blanche cultive son art dans un silence monastique, avec une dextérité inégalée
.

Crédit photo: FETHI BELAID / AFP

Du haut de ses soixante-huit ans, Mohamed Ben Sassi manie avec délicatesse ses composteurs, cisailles, scalpels, palettes, étaux, châssis à caractères de bronze, plioir en os et feuilles d’or, autant d’outils nécessaires pour restaurer, à la main et avec soin, des documents anciens.


"J’éprouve cet amour-passion pour l’art de la reliure, depuis mon jeune âge. Dans les années soixante-dix, j’ai intégré le lycée professionnel de Bab al-Alouj à Tunis, qui, à l’époque, était une institution reconnue pour la qualité des formations dispensées, entre autres, les métiers manuels et artisanaux"
, se rappelle Ben Sassi.

Après quatre ans de formation à Bab al-Alouj (1970-1974), Ben Sassi intègre en octobre 1975 le service reliure de la Bibliothèque nationale. Au fil des années, l’homme commence à stagner.

Pas de stages à l’étranger ni d’expositions pour développer ses connaissances et son savoir-faire en la matière, ni encore de possibilités de partager son foyer d’expérience, lui qui est épris de liberté et de mouvement.


Il finira par se défaire un tant soit peu de la bureaucratie institutionnelle, pour se donner un devenir-artisan, une
"ligne de fuite".

"Ce désir d’exercer mon métier de relieur-doreur en toute liberté, de maîtriser cet art, d’en connaître les tenants et les aboutissants, a sanctionné ma décision d’ouvrir un atelier dédié à cet artisanat d’art",
affirme Ben Sassi.

Pour ce faire, il va acquérir le matériel artisanal nécessaire chez un Italien établi à Tunis. Massicot, cisailles à carton, presse à papier, - tous des engins manuels en fer et en bois -, meublent aujourd’hui sa tanière à la rue de l’Agha, dont les murs et le décor classique, relatent l’histoire de l’artisan et de son art. Il s’en est suivi plusieurs stages et expositions en France et en Italie à ses propres frais et dans un deuxième temps en Grèce au frais de l’État.


Ambassadeurs accrédités en Tunisie, universités, ministères, ressortissants étrangers, personnalités du monde politique, tous s’affairent dans son atelier, pour solliciter son doigté en matière de restauration de livres anciens.

Crédit photo: FETHI BELAID / AFP

C’est ainsi qu’il gagnera ses galons de dernier digne représentant de l’art de la reliure-dorure établi dans les venelles de la médina de Tunis.


2015, sera l’année de la délivrance pour le natif de la vieille ville de Tunis. Mohamed Ben Sassi prend sa retraite de la Bibliothèque nationale et se consacre exclusivement à son atelier.

Conscient que son métier, à la fois art et patrimoine, risque de disparaître comme tant d’autres, écrasés par les
"logiques"
du capitalisme industriel, Ben Sassi endosse désormais le rôle de
"passeur"
de ce savoir-faire auprès de jeunes tunisiens, dont son fils, Mohamed-Jaouhar Ben Sassi, pour assurer la relève et de touristes qui font spécialement le déplacement en Tunisie pour suivre les enseignements et apprendre les techniques du maître.

"Les jeunes sont curieux, ils veulent apprendre et c’est un bon signe pour l’avenir"
, s’est-il félicité.

Installé à sa table de travail, Ben Sassi caresse les feuillets calligraphiés abîmés d’une copie du Coran deux fois centenaire, pour les dépoussiérer, avant d’utiliser son cutter et son plioir en os pour en soigner le pourtour, en ouvrant les pliures et en enlevant l’excédent des feuilles pliées, toujours avec le geste soigné de l’artisan, il sourit fièrement et dit:


"Je suis tellement en immersion avec mon art, dans cet atelier, que j’ai l’impression d’abolir le temps et le monde jusqu’à ce que mon épouse m’appelle et que le réel me rattrape."

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