La campagne américaine contre le "narco-terrorisme"

11:015/12/2025, vendredi
MAJ: 5/12/2025, vendredi
Kadir Üstün

Depuis quelques mois, l’administration Trump cible les embarcations originaires d’Amérique du Sud au nom de la lutte contre le "narco-terrorisme". Il s’agit là d’une version actualisée de la "guerre contre la drogue" , un thème qui occupe la politique américaine depuis plus de cinquante ans et dont l’échec est largement reconnu. Lancée avec Nixon dans les années 1970 et étendue sous Reagan dans les années 1980, cette guerre a une histoire extrêmement complexe, souvent sombre. Comme s’en souviendront

Depuis quelques mois, l’administration Trump cible les embarcations originaires d’Amérique du Sud au nom de la lutte contre le
"narco-terrorisme".
Il s’agit là d’une version actualisée de la
"guerre contre la drogue"
, un thème qui occupe la politique américaine depuis plus de cinquante ans et dont l’échec est largement reconnu. Lancée avec Nixon dans les années 1970 et étendue sous Reagan dans les années 1980, cette guerre a une histoire extrêmement complexe, souvent sombre.

Comme s’en souviendront aussi ceux qui ont regardé la série
Narcos
sur Netflix, la question de la drogue aux États-Unis est un enchevêtrement de problèmes qui dépasse largement les questions d’ordre public pour entrer en contradiction avec certaines priorités de politique étrangère. En ciblant militairement les groupes qui tentent d’acheminer de la drogue par voie maritime, l’administration Trump cherche à définir ce sujet comme une urgence de sécurité nationale, au croisement des enjeux migratoires et géopolitiques.

L’approche consistant à lutter contre les trafiquants par des exécutions extrajudiciaires a conduit à des accusations de crimes de guerre visant le secrétaire à la Défense Hegseth, tout en signalant l’entrée dans une nouvelle ère de la guerre américaine contre la drogue.


"Narco-terrorisme", opérations militaires : crime ou crime de guerre ?


Une enquête du
Washington Post
a révélé que lors d’une opération menée le 2 septembre contre un bateau naviguant dans les Caraïbes, Pete Hegseth pourrait avoir commis un crime de guerre. Depuis l’annonce par l’administration Trump de nouvelles règles d’engagement visant les bateaux transportant de la drogue, la légalité de ces opérations était déjà questionnée.

Le fait de viser des embarcations avec des drones armés avant même d’avoir confirmé qu’elles transportaient réellement des stupéfiants avait relancé le débat sur les exécutions extrajudiciaires. L’information selon laquelle Hegseth aurait ordonné que
"personne ne survive"
lors de l’opération du 2 septembre a ajouté aux accusations de meurtre celles de crime de guerre.

Alors que le fondement juridique de l’idée selon laquelle ces bateaux auraient
"déclaré la guerre"
aux États-Unis paraît fragile, le ciblage de survivants après une première intervention est désormais présenté comme la preuve potentielle d’un crime de guerre.

L’immigration et surtout la sécurité des frontières, que Trump place au cœur du débat politique depuis 2016, sont devenues des priorités absolues aux États-Unis. En affirmant que les cartels sud-américains amènent criminalité et drogue dans le pays, et en les ciblant par la force militaire, Trump montre qu’il considère la sécurité frontalière non plus comme un simple enjeu d’ordre public mais comme une question de sécurité nationale.


Comme on l’a déjà constaté dans la lutte contre le terrorisme ou dans la guerre contre la drogue, des bases juridiques fragiles deviennent difficiles à contester dès lors qu’elles s’inscrivent dans le cadre de la sécurité nationale.
En qualifiant ces opérations de lutte contre le "narco-terrorisme", l’administration cherche clairement à tirer avantage de cette dynamique.
À une époque où le terme
"sécurité nationale"
suspend presque tout débat, il devient plus clair pourquoi la lutte contre la drogue est désormais présentée sous cet angle.

Les glissements d’une guerre impossible à gagner


Bien que perçue comme une guerre perdue d’avance dans l’histoire américaine, la lutte contre la drogue a acquis une nouvelle dimension sous Trump, avec ses liens étroits avec les relations interaméricaines et les politiques migratoires.


Convaincu que les vagues migratoires via le Mexique importent la criminalité aux États-Unis, Trump cherche à démontrer sa domination géopolitique régionale en menant des opérations contre les bateaux circulant dans les Caraïbes.
Mais cette démonstration de force ne peut évidemment pas résoudre les dimensions socio-économiques de l’addiction aux États-Unis.

En redéfinissant le ministère de la Défense comme
"ministère de la Guerre"
et en affirmant que le pays n’hésitera pas à recourir à la force armée pour gérer immigration, frontières et drogue, l’administration Trump privilégie les sanctions et la répression plutôt que les causes profondes de la dépendance. Elle normalise des pratiques d’exécution extrajudiciaire qui s’écartent des critères classiques de lutte contre la criminalité, tout en essayant de rendre ces méthodes durables en intégrant la lutte contre la drogue dans le cadre de la sécurité nationale.

L’administration avait déjà reproché à la Chine de ne pas agir suffisamment contre le commerce du fentanyl, en utilisant un discours axé sur
"l’indépendance nationale"
. Dans ce contexte, la lutte contre les bateaux supposés transporter de la drogue devient soudainement un symbole d’une souveraineté américaine que l’on refuse de voir limitée.

Cette approche unilatérale et non comptable devant quiconque, que Washington tente d’ériger en norme de politique étrangère, ne produit pourtant pas de solution durable au problème de la drogue, éprouvé depuis un demi-siècle.
Même le ciblage des cartels les plus puissants — dont certains étaient devenus plus forts que des États — n’avait pas fonctionné. Washington a souvent tenté de les instrumentaliser selon ses priorités diplomatiques ou ses choix idéologiques, notamment dans le cadre de la lutte contre le communisme.

Cet arrière-plan historique montre que les méthodes purement militaires n’ont jamais permis de régler le problème de la drogue — et que Washington privilégiera toujours ce qu’il considère comme ses enjeux stratégiques essentiels.


L’administration Trump semble donc considérer la guerre contre la drogue comme un instrument d’affirmation souverainiste au nom de l’idéologie
"America First"
. Comme on l’a vu dans les précédentes
"guerres"
contre la drogue (Reagan) ou le terrorisme (Bush), il est presque impossible de fonder juridiquement une
"guerre contre le narco-terrorisme"
sans ouvrir la voie à des pratiques illégales (torture, exécutions extrajudiciaires).

Les scandales Iran-Contra ou Abou Ghraib ont déjà montré les dérives possibles de ces guerres sans fin. Et même si la controverse autour de l’ordre donné par Hegseth le 2 septembre n’est pas de la même ampleur, elle illustre que
l’administration entre sur un terrain glissant qui pourrait conduire à de nouvelles accusations de crimes de guerre.

Sans cadre légal clair ni objectifs stratégiques définis, cette guerre contre le
"narco-terrorisme"
, mêlée d’ambitions politiques et de démonstrations de force, pourrait très bien finir par se retourner contre l’administration Trump elle-même.
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