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A San Francisco, les Afro-Américains réclament réparation pour le racisme systémique

Devant la maison où elle a grandi, Lynette Mackey évoque avec nostalgie la musique que sa famille jouait sur le perron de cette élégante bâtisse victorienne, avant que nombre d'Afro-Américains ne soient progressivement exclus du Fillmore.

11:30 - 30/06/2023 vendredi
MAJ: 11:45 - 30/06/2023 vendredi
AFP
Crédit photo: PHILIP PACHECO / AFP
Crédit photo: PHILIP PACHECO / AFP

Epicentre du jazz en Californie, ce quartier de San Francisco était surnommé le "Harlem de l'Ouest" après-guerre. Jusqu'à ce que les politiques de rénovation urbaine menées par la ville dans les années 60-70 ne chasse la communauté noire de son fief. La sexagénaire confie à l'AFP:


C'est un exemple parfait de la raison pour laquelle nous méritons des réparations.

Son grand-père a toujours refusé de céder sa demeure à la municipalité, qui assurait vouloir détruire le bâtiment. Mais à sa mort en 1975, la famille a été forcée de vendre à un prix dérisoire et au lieu d'être rasée, la maison a été convertie en logements sociaux.


Crédit photo: PHILIP PACHECO / AFP

"Il s'agit d'un vol.
(...)
Maintenant, elle vaut des millions",
peste cette retraitée. Au-delà de la perte de patrimoine,
"on a brisé une famille heureuse".

Privés de leur point de ralliement, les membres de sa fratrie sont partis ailleurs en Californie, à Oakland, Palo Alto ou Sacramento.


Cinq millions par habitant


L'idée de réparations pour compenser les inégalités nées de l'esclavage et perpétuées par le racisme systémique est débattue depuis des décennies aux États-Unis, mais a longtemps relevé de la lubie universitaire.


Jusqu'à ce que le meurtre de George Floyd par un policier blanc en 2020 ne rebatte les cartes: les démocrates en ont alors fait un objet politique un peu partout dans le pays.

Si la ville d'Evanston, près de Chicago, a été la première à adopter un plan attribuant des aides financières aux Afro-Américains pour rénover leur logement, la Californie nourrit les projets les plus ambitieux.


Cet État de la côte ouest est le premier aux États-Unis à avoir créé une commission sur le sujet. Après trois ans de travail, son rapport final publié jeudi recommande le versement d'importantes réparations financières.


Expropriations, discrimination au logement, incarcérations disproportionnées... Sans suggérer directement un montant aux législateurs, l'organe propose une méthodologie détaillée pour chiffrer le préjudice vécu par les Afro-Américains de Californie.


Pour un descendant d'esclave de 70 ans ayant cumulé toutes les discriminations, celui-ci atteindrait 1,4 million de dollars.

San Francisco a également son propre comité. L'organisme a défrayé la chronique lorsqu'il a proposé en mars de verser 5 millions de dollars à chaque habitant Afro-Américain éligible.


Cette seule mesure coûterait
"50 milliards de dollars",
soi
t "trois fois et demi le budget annuel de la ville",
estime le chef de file des républicains locaux, John Dennis, qui dénonce un projet irréaliste.

"Il y aura un retour de bâton pour le parti démocrate, une fois que la communauté noire se rendra compte qu'on s'est joué d'elle",
avertit-il, en rappelant qu'après avoir envisagé la création d'une commission fédérale, Joe Biden n'a jamais donné suite.

"Forme d'apartheid"


Le gouverneur de Californie lui-même, Gavin Newsom, semble hésiter à sortir le portefeuille.
"Affronter cet héritage va bien au-delà des paiements en espèces"
, a-t-il souligné en mai.

Crédit photo: PHILIP PACHECO / AFP

Mais pour de nombreux Afro-Américains rencontrés par l'AFP, l'équation financière est incontournable. A San Francisco, capitale de la tech où la gentrification a fait exploser les prix, ils ne représentent plus qu'environ 5% de la population, contre 13% dans les années 1970.


La rénovation urbaine
"a tué notre communauté et nous ne nous en sommes jamais remis"
, raconte le pianiste Sam Peoples. Originaire du Fillmore, le septuagénaire a vu sa famille perdre boutique et maison, saisies par la ville lorsqu'il était jeune.

Un à un, les restaurants de "soul food", tout comme les clubs de jazz où jouait son père saxophoniste et fréquentés par Duke Ellington, Billie Holiday ou Ella Fitzgerald, ont disparu. A la place du plus célèbre d'entre eux, le "Jimbo's Bop City", on trouve désormais un salon de coiffure où la coupe femme démarre à 105 dollars.


Nous avons perdu notre sens de la communauté. La colonne vertébrale (du quartier) a été arrachée.

"Il ne s'agissait pas de rénovation urbaine, mais d'expulsion des Noirs
(...)
C'était une forme d'apartheid"
, juge le pasteur Amos Brown, qui prêche dans l'Eglise évangélique du Fillmore depuis 1976.

Malgré sa façade progressiste, la Californie a adopté des politiques racistes
"comme le reste du pays",
ajoute ce militant des droits civiques, membre des commissions sur les réparations créées par l'État et la ville.

A 82 ans, ce compagnon de route de Martin Luther King appelle les démocrates à ne pas enterrer la question pour des raisons budgétaires.


"Si on n'a pas tout l'argent nécessaire,
(...)
il faut au moins s'engager et verser un acompte"
, réclame-t-il.
"L'Amérique doit payer sa dette envers les Noirs."

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