France: une enquête révèle qu’Israël aurait exercé des pressions pour maintenir la pénalisation du boycott

La rédaction avec
20:3214/12/2025, Pazar
MAJ: 14/12/2025, Pazar
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Crédit Photo: AA
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Une enquête de Mediapart, journal d'information numérique et indépendant, menée avec huit médias européens dans le cadre du projet "Israël Files" et publiée dimanche, met en lumière les pressions exercées par les autorités israéliennes pour préserver en France, la pénalisation des appels au boycott d’Israël, en dépit d’une jurisprudence européenne favorable aux militants du mouvement Boycott, désinvestissement et sanctions (BDS).

Le contentieux français autour du boycott d’Israël ne débute pas avec l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) de juin 2020. Dès la fin des années 2000, des actions militantes ciblant la commercialisation de produits israéliens avaient lieu dans des hypermarchés, notamment dans l’est de la France.


Mediapart rappelle ainsi que, en septembre 2009 puis en mai 2010, des militants du collectif Palestine 68 avaient mené des opérations non violentes dans un hypermarché Carrefour d’Illzach (Haut-Rhin), appelant les clients à boycotter des produits israéliens à l’aide de tracts et de tee-shirts militants. Si l’enseigne avait retiré sa plainte, plusieurs organisations dont la Licra et le Bureau national de vigilance contre l’antisémitisme (BNVCA) s’étaient constituées parties civiles.


Ces actions ont débouché sur l’affaire dite “Baldassi”, du nom de l’un des militants poursuivis. En 2015, la Cour de cassation avait confirmé la condamnation pénale de onze militants pour provocation à la discrimination, faisant de la France l’un des pays européens les plus répressifs à l’égard du mouvement BDS.


Le tournant de 2020 et l’inquiétude israélienne


Tout bascule en juin 2020, lorsque la CEDH juge que l’appel au boycott de produits israéliens relève de la liberté d’expression, tant qu’il ne s’accompagne pas d’incitation à la haine. La Cour condamne la France pour violation de l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme.


Selon des documents internes cités par Mediapart, cette décision est perçue par les autorités israéliennes comme une menace stratégique majeure, susceptible de
"fragiliser durablement l’arsenal juridique"
utilisé en France contre le BDS. Le ministère israélien chargé de la
"guerre juridique"
(lawfare) aurait alors intensifié ses démarches pour
"limiter l’impact"
de cette jurisprudence.

Pressions et relais en France


L’enquête décrit un lobbying assumé, mené à la fois sur le plan diplomatique et juridique. Mediapart rapporte que le Conseil représentatif des institutions juives de France (Crif) a alerté, dès l’été 2020, plusieurs responsables gouvernementaux français sur les
"conséquences"
de l’arrêt de la CEDH.

Dans une note israélienne citée par le journal, la France est qualifiée de
"pilier central de la lutte contre le BDS en Europe".
Le document se félicite d’initiatives visant à maintenir une interprétation restrictive de la liberté d’expression lorsqu’il s’agit du boycott.

Une circulaire française au cœur des critiques


Le 20 octobre 2020, le ministère français de la Justice publie une circulaire demandant aux procureurs de continuer à poursuivre les appels au boycott lorsqu’ils peuvent être qualifiés de provocation à la discrimination, tout en tenant compte de la décision de la CEDH.


Le journal souligne que cette circulaire est présentée, dans un rapport israélien, comme une
"réponse satisfaisante"
et le fruit d’
"échanges étroits"
entre responsables israéliens et français, une affirmation que ni Paris ni Jérusalem n’ont confirmée publiquement.

Des poursuites qui perdurent


Si les militants de l’affaire Baldassi ont été définitivement relaxés, Mediapart constate que des procédures judiciaires continuent d’être engagées contre des militants pro-palestiniens, notamment en Alsace, dans la continuité des actions menées auparavant dans des espaces commerciaux.


Le journal évoque une continuité des stratégies judiciaires, portée par certaines organisations déjà impliquées dans les poursuites antérieures.


Un débat toujours ouvert


Ni le ministère français de la Justice ni les autorités israéliennes n’ont répondu aux questions de Mediapart. Le Crif (conseil représentatif des institutions juives de France) , pour sa part, récuse toute accusation d’ingérence et affirme agir uniquement dans le cadre de la lutte contre l’antisémitisme.


L’enquête "Israël Files" relance néanmoins un débat sensible en France sur les limites de la liberté d’expression, l’indépendance de la justice et l’influence d’acteurs étrangers dans le traitement judiciaire du mouvement BDS.


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