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Des centaines de Nord-Coréens disparus de Chine depuis la réouverture de la frontière

Après avoir fui la famine en Corée du Nord, Kim Cheol Ok a fait profil bas en Chine pendant des décennies, jusqu'à une tentative de fuite lors de laquelle elle est tombée aux mains des autorités chinoises qui l'ont renvoyée dans son pays reclus.

10:35 - 25/04/2024 Perşembe
AFP
Cette photo prise le 25 mars 2024 montre Kim Kyu-li posant avec une photo de sa sœur Kim Cheol Ok chez elle dans le sud-ouest de Londres.
Crédit Photo : Henry NICHOLLS / AFP
Cette photo prise le 25 mars 2024 montre Kim Kyu-li posant avec une photo de sa sœur Kim Cheol Ok chez elle dans le sud-ouest de Londres.

Comme elle, des centaines de Nord-Coréens ont été rapatriés par la Chine ces derniers mois vers leur pays d'origine, où selon les organisations de défense des droits de l'homme, ils risquent l'emprisonnement, la torture et même d'être exécutés.


Malgré les risques, la famille de Kim Cheol Ok a pris la décision de rendre son cas public après sa disparition. La femme d'une quarantaine d'année a passé un appel en urgence pour dire adieu, et annoncer
"qu'elle allait être renvoyée en (...) Corée du Nord dans les deux heures, et a raccroché"
, explique sa sœur Kim Kyu-li, qui vit à Londres, à l'AFP. Ni elle ni aucun autre membre de sa famille n'a pu la contacter depuis.

Des milliers de Nord-Coréens vivraient illégalement dans les régions frontalières du nord-est de la Chine. Pékin fait des rafles sporadiquement, mais les expulsions ont cessé pendant que la frontière était fermée en raison de la pandémie.

Pyongyang considère le franchissement non autorisé de la frontière comme un crime grave, sévèrement réprimé.
"En Corée du Nord, la prison est un endroit dangereux"
, observe Kim Kyu-li.
"Beaucoup de gens meurent".

Ni la Chine ni la Corée du Nord n'ont officiellement reconnu le cas de Kim Cheol Ok. Mais l'AFP a corroboré son histoire avec une interview de Kim Kyu-li, une avocate qui fait campagne pour les expulsés, et une source en Chine connaissant l'affaire mais s'exprimant sous couvert de l'anonymat par crainte de représailles.

A la suite de la réouverture de la frontière entre la Chine et la Corée du Nord, une équipe de l'AFP s'est rendue sur place. La police des frontières chinoise interdit aux journalistes de se rendre aux quatre points de passage officiels.


C'est par l'un d'entre eux, à Nanping, en face de la ville nord-coréenne de Musan, que Kim Cheol Ok aurait été rapatriée. Les journalistes ont visité d'autres sites sur la frontière, où des soldats nord-coréens montaient la garde dans des tours de guet et derrière des rangées de pieux. Ils ont vu des Nord-Coréens cultiver la terre ou transporter du bois.


Dans une ville étrangement vide, on pouvait entendre une musique triste résonner parmi les immeubles résidentiels décrépits.


Côté chinois, des panneaux recommandent de ne pas communiquer avec les Nord-Coréens et promettent des
"punitions sévères"
pour l'hébergement de migrants illégaux ou la contrebande. De l'autre côté de la frontière, un gigantesque panneau de propagande nord-coréenne, proclame
: "Mon pays est le meilleur !"

Kim Cheol Ok était passée en Chine dans les années 1990, au moment où la Corée du Nord connaissait des pénuries dévastatrices, explique Kim Kyu-li. Elle a été vendue pour être mariée à un Chinois beaucoup plus âgé qu'elle, avec qui elle a eu une fille et a passé des décennies sans existence légale.

L'année dernière, infectée par le Covid-19, elle a cherché à obtenir un statut légal et des soins de santé, et décidé de fuir la Chine.
"Elle était tellement malade qu'elle ne pouvait même pas me reconnaître"
, raconte Kim Kyu-li.
"Elle m'a soudain demandé de la faire sortir"
de Chine.
"Je lui ai dit d'attendre et que je ferais n'importe quoi"
pour l'aider.

En avril 2023, Kim Kyu-li a engagé un intermédiaire pour aider sa sœur à traverser 4.000 kilomètres pour se rendre au Vietnam. Elle espérait qu'elle atteindrait ensuite la Corée du Sud, qui accorde la citoyenneté aux Nord-Coréens.


De là, Kim Cheol Ok pourrait la rejoindre en Grande-Bretagne. Mais les retrouvailles n'ont jamais eu lieu.
"Habituellement, lorsqu'ils entrent (au Vietnam), nous recevons un appel de l'intermédiaire dans la semaine qui suit, nous informant qu'ils sont arrivés à bon port"
, explique Kim Kyu-li.
"Mais au bout de dix jours, nous n'avions pas de nouvelles."

La police chinoise a intercepté Kim Cheol Ok et deux autres Nord-Coréens dans les heures qui ont suivi leur départ, ont déclaré Kim Kyu-li et la source anonyme en Chine.


Elle a passé plusieurs mois dans un centre de détention de haute sécurité à l'extérieur d'un village près de la ville de Baishan, dans la province de Jilin (est). Sa famille affirme n'avoir pas pu savoir si elle avait été inculpée, jugée ou condamnée.

Ils ont été autorisés à apporter des vêtements et de l'argent au centre, mais n'ont pas pu voir Kim Cheol Ok. Soudain, en octobre, elle a demandé à pouvoir passer un dernier coup de téléphone, indique Kim Kyu-li. Deux heures plus tard, elle a annoncé à sa famille qu'elle était renvoyée en Corée du Nord, et n'a plus jamais donné de nouvelles.


Kim Cheol Ok faisait partie des quelque 600 Nord-Coréens expulsés de Chine ce mois-là, selon le groupe de travail sur la justice transitionnelle (TJWG), une ONG sud-coréenne.


Le groupe estime à 1.100 le nombre de ceux qui étaient détenus en vue de leur rapatriement en décembre.

L'AFP n'a pas été en mesure de vérifier ces chiffres de manière indépendante. Les appels à l'établissement identifié par la famille de Kim Cheol Ok sont restés sans réponse et les responsables ont ordonné aux journalistes de quitter les environs.


Des dizaines de milliers de Nord-Coréens sont entrés en Chine au cours des dernières décennies, cherchant une vie meilleure.


Pékin les considère comme des migrants économiques illégaux, ce qui oblige nombre d'entre eux à se tourner vers des pays tiers pour pouvoir se rendre ensuite en Corée du Sud.

Mais les arrivées ont diminué depuis l'arrivée au pouvoir de Kim Jong Un il y a plus de dix ans. Pendant la pandémie, Pyongyang a renforcé la sécurité aux frontières et a imposé une politique de
"tir à vue"
, selon le média spécialisé NK News, établi à Séoul.

D'après le ministère sud-coréen de l'Unification, seuls 196 Nord-Coréens ont réussi à se rendre au Sud l'année dernière, alors qu'ils étaient près de 3.000 en 2009.


Les évasions de Corée du Nord sont tombées à
"presque zéro"
après l'imposition de mesures de contrôles liées au Covid en 2020, selon Sokeel Park, directeur pour la Corée du Sud de l'association Liberté en Corée du Nord.

Ceux qui ont réussi à quitter la Chine y étaient probablement déjà avant la pandémie, pense-t-il, s'attendant à de nouvelles expulsions.


La Chine et la Corée du Nord, alliés de longue date, ont intensifié leurs relations diplomatiques au cours des derniers mois.

Le ministère chinois des affaires étrangères a déclaré
"traiter de manière appropriée les personnes qui émigrent illégalement en Chine pour des raisons économiques"
tandis que l'ambassade nord-coréenne en Chine n'a pas répondu aux sollicitations de l'AFP.

A Londres, Kim Kyu-li s'inquiète du sort de sa sœur.
"Je me bats avec l'espoir qu'elle soit toujours en vie"
.
"Tout comme elle a survécu en Chine à un jeune âge, j'espère qu'elle survivra également"
en Corée du Nord.

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