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En Ouzbékistan, la fièvre de l'or

Étalant d'une main un mélange grisâtre de sable et de cailloux qu'il rince d'un filet d'eau, Khislat Otchilov scrute méticuleusement l'apparition de paillettes brillantes : de l'or, métal crucial pour l'Ouzbékistan, dont regorge ce pays d'Asie centrale. Enfin, une pépite de la taille d'un grain de riz surgit sur son tapis d'orpaillage.

16:55 - 27/03/2024 Çarşamba
AFP
La ruée vers l'or en Ouzbékistan : un engouement non régulé favorisant certains au détriment de l'écosystème et des populations locales.
Crédit Photo : X /
La ruée vers l'or en Ouzbékistan : un engouement non régulé favorisant certains au détriment de l'écosystème et des populations locales.
"C'est pas mal, même si j'en ai déjà trouvé une de sept grammes, mon record"
, se satisfait cet homme de 25 ans rencontré par l'AFP dans la steppe ouzbèke, non loin du village de Soïketchar (sud-ouest).

Plus loin, son collègue Sardor Mardiev, 28 ans, creuse au volant de son excavateur douze heures durant, six jours par semaine, la terre de cette immense région de Navoï, plus grande qu'une trentaine de pays européens, comme le Portugal.


Autrefois privilège exclusif des immenses combinats miniers étatiques, la recherche du précieux métal est désormais autorisée aux particuliers en Ouzbékistan, devenu en 2023 le dixième producteur mondial (110,8 tonnes) et le deuxième vendeur (25 tonnes) via sa Banque centrale, selon le Conseil mondial de l'or.

Des chiffres cependant loin de rassasier le président Chavkat Mirzioïev, qui se présente comme un réformateur souhaitant développer l'économie encore largement centralisée et ouvrir son pays après des années d'isolement.


Une libéralisation progressive qui ne s'applique pas encore à la scène politique, toujours verrouillée. Alors que seulement 20% du sous-sol ouzbek a été exploré, le dirigeant au pouvoir depuis 2016 a ordonné d'augmenter de 50% la production d'or d'ici 2030 et de vendre des lingots pesant jusqu'à un kilogramme, dans l'espoir d'attirer plus de touristes.

Après l'autorisation donnée aux particuliers, Zokhid Khoudaberdiev a, comme des centaines d'autres entrepreneurs, voulu tenter sa chance : le trentenaire a acheté aux enchères une parcelle pour trois ans afin de participer à cette ruée vers l'or.


"Avant 2019, nous n'avions pas le droit de chercher de l'or. Certains le faisaient mais risquaient de mourir, c'était dangereux"
résume M. Khoudaberdiev, qui a comme concurrents des chercheurs kazakhs et chinois sur les parcelles voisines.

Et si cette concession ne fournissait pas suffisamment d'or, il essaierait probablement plus loin.


Derrière lui, les camions et tractopelles s'affairent, dévorant sur plusieurs centaines de mètres des tonnes de gravats qui offriront
"12 à 15 grammes par jour en moyenne"
selon M. Khoudaberdiev, un œil sur son téléphone pour vérifier le cours de l'or, qui tutoie les 2.200 dollars l'once mi-mars, un record.

"Le gouvernement nous a donné la possibilité de chercher de l'or pour fournir du travail aux gens"
, poursuit le patron, donnant l'exemple de ses jeunes employés, Khislat Otchilov et Sardor Mardiev.
Car dans un pays où 20% de la population active est forcée d'émigrer, principalement en Russie, le secteur aurifère offre des perspectives inespérées.

"Nous employons des locaux, avant Khislot était au chômage et Sardor garçon de ferme, maintenant ils gagnent en moyenne trois à quatre millions de soums (220-300 euros)"
par mois, explique M. Khoudaberdiev, un salaire correct en région.

Mais une fois l'or récolté, interdiction pour les entrepreneurs de le garder dans leurs poches : tout doit être remis à la Banque centrale ouzbèke, qui le revendra elle-même sur le marché mondial contre des dollars.

Car faire entrer des devises est crucial pour l'économie ouzbèke en pleine croissance afin de soutenir la monnaie nationale, le soum, l'une des plus faibles au monde, un euro s'échangeant mi-mars contre environ 13.700 soums.


Mais dans le village de Soïketchar, où l'agriculture reste un secteur vital, cette agitation autour de l'or ne fait pas que des heureux.


"Les chercheurs creusent là où nous faisions paître notre bétail"
, explique Erkin Karchiev, l'un des responsables des fermiers du district, situé à quelque 500 kilomètres au sud-ouest de la capitale Tachkent.

"Regardez, les précédents sont partis en laissant tout en l'état"
, dit le sexagénaire, dépité, montrant les trous d'une dizaine de mètres de profondeur autour de lui.

Le fermier assure avoir
"très peur que les animaux y tombent"
. Et ses multiples demandes aux autorités pour régler ce problème sont pour le moment restées lettre morte.
"Nous ne voulons qu'une seule chose"
, relève l'agriculteur.
"Que les chercheurs d'or aplanissent la terre en recouvrant les trous à leur départ."

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