Trump s’adoucit-il face à la Chine ?

11:1116/12/2025, mardi
MAJ: 16/12/2025, mardi
Abdullah Muradoğlu

Le débat porte sur les formulations relativement modérées à l’égard de la Chine, ainsi que sur les références à la stabilisation des relations entre les États-Unis et la Russie dans le nouveau "Document de stratégie de sécurité nationale" du président américain Trump. L’une des questions posées est la suivante : "Trump recule-t-il par rapport à son approche jusqu’ici très ferme vis-à-vis de la Chine ?" Or, qu’il s’agisse des "priorisateurs" , qui plaident pour une réduction de la présence militaire

Le débat porte sur les formulations relativement modérées à l’égard de la Chine, ainsi que sur les références à la stabilisation des relations entre les États-Unis et la Russie dans le nouveau
"Document de stratégie de sécurité nationale"
du président américain Trump. L’une des questions posées est la suivante :
"Trump recule-t-il par rapport à son approche jusqu’ici très ferme vis-à-vis de la Chine ?"
Or, qu’il s’agisse des
"priorisateurs"
, qui plaident pour une réduction de la présence militaire américaine en Europe et au Moyen-Orient afin de se concentrer sur l’Asie-Pacifique, ou plus largement des élites de la politique étrangère américaine, tous s’accordent à considérer la Chine comme une
"menace existentielle"
pour les États-Unis. Les divergences portent non pas sur le diagnostic, mais sur les réponses à y apporter.

Elbridge Colby est l’une des figures majeures au sein du département de la Guerre de Trump à défendre cette logique de
"priorisation".
Chargé de préparer le
"Document de stratégie de défense nationale"
de l’administration Trump, Colby est connu pour ses positions dures et
"urgentistes"
vis-à-vis de la Chine. Une autre question se pose donc :
"Colby a-t-il adouci son approche urgentiste ?"
Se définissant lui-même comme un
"réaliste"
, Colby est l’auteur d’un ouvrage abordant la
"priorité chinoise"
dans le cadre d’une
"grande stratégie".

La Chine comme faille majeure


Selon Colby, le bateau américain présente plusieurs petites fissures, mais surtout une grande brèche : la Chine. Les petites fissures, dit-il, peuvent être tolérées sans faire sombrer le navire. En revanche, si la grande brèche continue de s’élargir sans être colmatée d’urgence, le bateau finira par couler.


Colby soutient que le temps et les ressources limités des États-Unis doivent être consacrés à cette grande brèche.
Contrairement aux néoconservateurs et aux faucons libéraux, il affirme que les États-Unis n’ont pas la capacité de soutenir plusieurs guerres simultanément. Allant plus loin, il estime que les États-Unis ne disposent même pas encore de la puissance nécessaire pour vaincre la Chine. Selon lui, Washington doit donc se préparer à une seule guerre, celle qu’il est certain de gagner. Une Chine convaincue que les États-Unis sont prêts à une guerre totale hésitera alors à envahir Taïwan.

Lors du premier mandat de Trump, la volonté de Colby de désigner la Chine comme la principale menace stratégique pour l’Amérique s’est heurtée à de nombreuses résistances, notamment au sein du Commandement central (CENTCOM) et de l’état-major interarmées. Avec le soutien de la marine et, en partie, de l’armée de l’air, Colby est néanmoins parvenu à faire inscrire cette vision
"urgentiste"
de la Chine dans le
"Document de stratégie de défense nationale"
de 2018.

Colby estimait en substance que
"si vaincre la Chine passe par la constitution d’une coalition avec des régimes non démocratiques dans la région, qu’il en soit ainsi".
À ses yeux, l’idéologie joue un rôle très limité dans la rivalité sino-américaine. Même si la Chine devenait une démocratie selon les standards occidentaux, la nature de la menace pour les États-Unis ne changerait pas.

Le jeu du "Kissinger inversé"


L’inclusion de la
"doctrine Monroe"
dans le nouveau
"Document de stratégie de sécurité nationale"
de Trump vise à empêcher l’accès de la Chine aux ressources d’Amérique latine. L’Amérique latine constitue un marché attractif pour la Chine, et la Chine l’est tout autant pour les pays latino-américains. Cette
"doctrine Monroe à la sauce Trump"
entend transformer radicalement, de manière impériale, cet équilibre au profit des États-Unis. C’est également l’idée qui sous-tend la décision de Trump de rebaptiser le département de la Défense en
"département de la Guerre".

L’approche adoptée à l’égard de la Russie dans ce document peut être perçue comme une répétition inversée de la politique menée par le président Richard Nixon et son conseiller à la sécurité nationale Henry Kissinger, qui visaient à détacher la Chine de l’Union soviétique. En 1972, la visite de Nixon à Pékin et sa rencontre avec Mao avaient posé les bases du rapprochement sino-américain. Grâce à cette ouverture, la République populaire de Chine dirigée par Mao avait brisé l’encerclement politique et économique qui l’isolait, et obtenu le siège de membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU au détriment de la
"République de Chine"
basée à Taïwan.

Aujourd’hui, l’administration Trump traite la Chine comme un
"égal mondial"
susceptible d’être qualifié de
"G-2"
, tout en cherchant simultanément un rapprochement avec la Russie. En réalité, les Américains ne souhaitent pas voir la Russie devenir un allié durable de la Chine. Les
"nouveaux réalistes"
américains reprochaient à l’administration Biden d’avoir renforcé l’axe russo-chinois en exerçant une pression excessive sur Moscou. Selon eux, la politique russe de Biden consolidait la position de la Chine, principal rival stratégique des États-Unis.

D’après ces analyses, la volonté de Trump de stabiliser les relations américano-russes vise précisément à éloigner la Russie de la Chine. Moscou et Pékin, pour leur part, choisiront sans doute d’ignorer temporairement ce
"Kissinger inversé"
de Trump. La Chine ne souhaite pas un affrontement militaire prématuré avec les États-Unis. La Russie, elle, a un besoin pressant de préserver ses gains en Ukraine et de se libérer des sanctions américaines. Quant aux États-Unis, ils doivent de toute urgence se
"reconstituer"
sur le plan intérieur et en Amérique latine, tout en portant leur puissance militaire, en particulier navale, à un niveau incontestable.

Les trois pays jouent la montre dans la
"compétition entre grandes puissances"
. À court terme, leurs intérêts politiques peuvent ainsi converger. Ce qui viendra ensuite reste, pour l’heure, une énigme.
#États-Unis
#Chine
#Russie
#Trump
#stratégie de sécurité
#grande puissance
#géopolitique