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Sportwashing ou Soft Power? Comprendre les ambitions de l’Arabie Saoudite autour du Football

D’abord Cristiano Ronaldo, ensuite Sadio Mané, Riyad Mahrez et désormais Neymar ! L’Arabie Saoudite ne s’arrête plus et enfile comme des perles de grands noms du football mondial, qui ont décidé de quitter l’Europe pour la Saudi Pro League. Derrière des investissements mirobolants tout au long du mercato estival, se cache l’ambition de surfer sur l’attractivité du football à des fins diplomatiques. Entre “Sportwashing” et “Soft Power”, que cherche l’Arabie Saoudite autour du football ?

La rédaction
15:44 - 19/08/2023 samedi
MAJ: 15:50 - 19/08/2023 samedi
Yeni Şafak
Les joueurs de football, Sadio Mané et Cristiano Ronaldo. Crédit Photo: @AlNassrFC_EN
Les joueurs de football, Sadio Mané et Cristiano Ronaldo. Crédit Photo: @AlNassrFC_EN

Depuis l’ouverture du marché des transferts cet été (mercato estival), l’Europe est secoué par de nouveaux acteurs aux capacités financières hallucinantes: les saoudiens. Les transferts vers les clubs saoudiens se multiplient, l’Arabie Saoudite parvient surtout à attirer de grands noms du football mondial. Il y a un an pourtant, Cristiano Ronaldo choisissait ce pays arabe pour y continuer sa longue et riche carrière. Une “destination exotique” pour certains, une folie pour d’autres. Mais cet été, la fièvre semble monter plus haut qu’on ne le pensait. Sadio Mané, Allan Saint-Maximin, Riyad Mahrez, Firmino, Karim Benzema et même la superstar brésilienne, Neymar, ont tous quitté l’Europe. Direction, la Saudi Pro League. Pourtant, rien n’est fortuit. L’Arabie Saoudite veut faire du football un outil de soft power, pour redorer son image, mais aussi pour renforcer son attractivité.


Le football et la Vision saoudienne Horizon 2030


En 2016, l’Arabie Saoudite lançait son plan “Saudi Vision 2030”, destiné à réformer le pays, le rendre plus libéral, plus ouvert au monde et en diversifier l’économie. Le pays veut surtout sortir de sa traditionnelle rente pétrolière et développer d’autres axes de l’économie. Depuis lors, sous la houlette du jeune Prince héritier Mohamed Ben Salmane, Riyad a changé de fusil d’épaule et nourrit une politique plus attractive et plus conciliante, loin de l’étiquette d’autoritarisme et de conservateur qu’on lui colle traditionnellement, à tort ou à raison. Cette stratégie se traduit par des réformes politico-sociales destinées à "libéraliser" le pays, mais aussi dans sa politique étrangère où Riyad cherche davantage à pacifier ses relations, surtout au Moyen-Orient. Le récent réchauffement des relations diplomatiques avec la Syrie ou encore l’Iran en est l’illustration parfaite. Mais qu’en est-il du football?


L’organisation de la Coupe du Monde 2022 au Qatar a permis au pays de renforcer sa visibilité et son attractivité. Malgré une attribution polémique, Doha a su attirer les projecteurs du monde entier sur son pays, grâce à la magie du football. Et cela n’a pas échappé au voisin et rival géopolitique saoudien. Si le Qatar a lui misé sur l’organisation de grands événements sportifs, le rachat d’un club vitrine comme le PSG et a tenté de développer son football local avec le Centre de formation “Aspire Academy”, l’Arabie Saoudite veut aller plus loin.
"Le projet saoudien dispose de plus de moyens que le Qatar. Il est d'une autre dimension. Il vise d'autres objectifs et à une autre échelle"
, estime Jean-Baptiste Guégan, spécialiste et professeur en géopolitique du sport (sur RMC Sport).

Des moyens colossaux et la Coupe du Monde 2034 en ligne de mire


La Saudi Pro League envisage d’entrer dans le top 10 des plus grands championnats de football au monde et vise des recettes d’environ 2 milliards de dollars d’ici 2030. En octobre 2021, l’Arabie Saoudite s’offrait le club anglais de Newcastle -qui jouera cette saison la Ligue des Champions- pour un montant de 330 millions d’euros. Ce rachat mettait alors la lumière sur les ambitions de Ryad autour du football. Mais les choses sérieuses ont débuté cet été.

Le Fonds d’Investissement Souverain le PIF (Public investment fund) est devenu l’arme majeure, lui qui gère des actifs estimés à 620 milliards de dollars. Il détient désormais 75% des parts de cinq clubs saoudiens: Al Nassr, Al Hilal, Al Ahli, Al Ettifaq et Al Ittihad, soient les clubs les plus actifs sur ce mercato estival. Selon la presse sportive, le budget dégagé pour cette fenêtre de transfert est de 20 milliards de dollars. Hallucinant !


L’objectif derrière tous ces investissements est de créer une économie autour du football local saoudien mais aussi de surfer sur l’attractivité de ce sport. Si le Qatar par exemple a compté davantage sur l’organisation d’évènements, l’Arabie Saoudite pourrait, elle, déplacer tout simplement le centre de gravité du football mondial, jusque-là basé principalement en Europe. Il y a quelques années, la Chine concevait à peu près la même stratégie mais le succès a été éphémère. Les gros salaires proposés aux joueurs n’ont pas pu être supportés dans le temps. L’Arabie Saoudite elle, dispose d’une manne financière presque illimitée et pourrait bien inscrire son succès dans la pérennité.


Comme le voisin rival, Riyad ambitionne d’accueillir sa Coupe du Monde à elle aussi. Si une candidature pour l’édition de 2030 risque d’être compliquée (avec la co-candidature Espagne-Maroc qui cherche un troisième allié), celle de 2034 est déjà dans la ligne de mire et pourrait être le couronnement de l’irruption saoudienne dans le football mondial.

Soft power ou Sportwashing ?


Ces efforts autour du football sont manifestement à des fins diplomatiques. Avec une population très jeune, l’Arabie Saoudite veut aussi renforcer son industrie du divertissement et utiliser le football pour exposer ses atouts touristiques, sa culture et son histoire...Bref, renforcer son "soft power", sa capacité d’influence sans usage de moyens coercitifs, en renvoyant une image plus séduisante et plus attractive. Riyad veut renforcer son influence aussi sur le plein international et cela passe par redorer d’une certaine manière son image. L’affaire Jamal Khashoggi, journaliste assassiné en octobre 2018 au consulat saoudien d’Istanbul, a écorné l’image du pays et Prince Ben Salmane. Pour se départir de ce statut d’autoritarisme et des questions du respect des Droits de l’Homme base de critique du Royaume saoudien pour les occidentaux, Riyad veut incarner un pays “moderne” et plus “cool”, capable d’attirer les yeux même des plus sceptiques. C’est ce procédé destiné à utiliser l’attractivité du sport pour redorer son image qui est souvent appelé “sportwashing”.


Quelle que soit l’apparence de la stratégie saoudienne autour du football, elle est en train d’ores et déjà de porter ses fruits et d’attirer les projecteurs du monde du football. Outre les billets de banque, la religion est notamment une source "naturelle" de soft power pour l’Arabie Saoudite. "
Je suis musulman, c’est un pays musulman et j’ai envie de vivre là-bas (...) Surtout, c’est un pays musulman, qui est beau, et c’est là que j’ai envie d’être. C’est important d’être dans un pays musulman où je sens déjà que les gens m’aiment, ça va me permettre d’avoir une nouvelle vie. J’ai envie de parler couramment la langue arabe, pour moi c’est important. Il y a plein d’autres choses. J’ai la chance d’être en Arabie saoudite
", avait notamment expliqué Karim Benzema à son arrivée à Al Ittihad. Aujourd’hui, le défi pour Riyad est de s’inscrire dans la durée et de pouvoir renforcer son statut international via le sport roi : le football.

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