Sous le costume, le treillis militaire: Paul Kagame en stratège dans la crise congolaise

La rédaction avec
11:3318/02/2025, mardi
MAJ: 18/02/2025, mardi
AFP
Le président du Rwanda, Paul Kagame (C), assiste au sommet régional extraordinaire entre les chefs d'État de la Communauté de développement de l'Afrique australe (SADC) et de la Communauté de l'Afrique de l'Est (EAC) au State House à Dar es Salaam, le 8 février 2025.
Crédit Photo : ERICKY BONIPHACE / AFP
Le président du Rwanda, Paul Kagame (C), assiste au sommet régional extraordinaire entre les chefs d'État de la Communauté de développement de l'Afrique australe (SADC) et de la Communauté de l'Afrique de l'Est (EAC) au State House à Dar es Salaam, le 8 février 2025.

"Maître des horloges", "joueur d'échecs" : le déroulé des événements dans l'Est de la RDC a illustré la maîtrise stratégique de Paul Kagame, qui, avant d'être l'indétrônable président du Rwanda, s'est forgé en soldat dans les guérillas des Grands Lacs et l'enfer du génocide de 1994.

Dimanche, le groupe armé M23 et ses alliés rwandais se sont emparés de Bukavu, capitale provinciale du Sud-Kivu, après une progression éclair qui les a vus prendre fin janvier Goma, grande ville et noeud économique du Nord-Kivu.


Kinshasa accuse son voisin d'
"ambitions expansionnistes"
et de vouloir piller les riches ressources de ces deux provinces. Kigali dément, ne confirmant pas même sa présence en RDC, mais martèle la menace que représentent pour sa sécurité les FDLR (Forces démocratiques de libération du Rwanda), créés par d'ex-responsables hutu en fuite.

Jusqu'ici, la communauté internationale s'est contentée d'appeler au cessez-le-feu, ignorant les sanctions réclamées par Kinshasa, ce qui témoigne de la maestria de Paul Kagame, selon plusieurs experts interrogés par l'AFP.

"C'est le maître du politico-militaire, avec lui rien n'est laissé au hasard, jamais"
, affirme un diplomate occidental, notant que la progression fulgurante du M23 a, après trois ans de conflit, coïncidé avec le changement d'administration aux Etats-Unis.

"On ne sépare pas Kagame l'homme politique de Kagame le militaire, le stratège"
, abonde Onesphore Sematumba, chercheur à l'International Crisis Group (ICG).
"Kagame lui-même dit parfois en parlant des Occidentaux : est-ce que ces gens savent d'où je viens ?"

34 ans d'exil


Paul Kagame a 3 ans lorsque ses parents, des Tutsi liés à l'ancienne famille royale du Rwanda, fuient en Ouganda voisin après les massacres de 1959 contre cette communauté et l'accession de la majorité hutu au pouvoir. Il passera 34 ans en exil.


M. Kagame "
est un ancien réfugié, un ancien réfugié très amer, qui a grandi dans des conditions assez difficiles, très conscient d'avoir été un citoyen de seconde classe en Ouganda"
, pointe Michela Wrong, journaliste spécialiste de la région.

Le jeune homme s'est engagé tôt dans la rébellion de l'Ougandais Yoweri Museveni, puis a cofondé avec d'autres exilés tutsi le Front patriotique rwandais (FPR) pour renverser Kigali.


Le 4 juillet 1994, Kagame et ses troupes prennent le contrôle de la capitale, mettant fin au génocide. Les cadavres jonchent les rues, au moins 800.000 personnes sont mortes, majoritairement tutsi.

Entre sécurité, richesses, territoires et protections des Tutsi congolais, la question des motivations profondes du Rwanda en RDC divise les experts.


Mais Kagame et l'élite tutsi sont obsédés par l'idée que
"s'il reste deux extrémistes hutu il faut les éliminer, car ils feront comme eux : un jour, ils reviendront au pays"
, affirme un diplomate spécialiste des Grands Lacs.

Au lendemain du génocide, le général-major Paul Kagame, 37 ans, disait à l'AFP vouloir garder une armée nombreuse, pour assurer la paix. Aujourd'hui, cette dernière est
"de loin la plus efficace de la région"
, selon l'ICG.

Selon l'ONU, 4.000 militaires rwandais sont déployés dans l'Est de la RDC, contrôlant de facto le M23.

99%


Depuis plus de 25 ans, le président a troqué le treillis-béret pour les costumes-cravates et les élégantes créations de designers rwandais. Mais tient toujours son armée d'une main de fer, comme son pays.


Dirigeant clivant, Kagame est pour les uns un héros visionnaire ayant porté le redressement spectaculaire d'un pays certes pauvre mais qui s'est fait un nom dans le tourisme de luxe et l'économie des conférences.


Pour les autres, "PK" est à 67 ans un despote muselant toute opposition. En 2024, il a été réélu pour un quatrième mandat avec un score de 99%.

"Un leader fort n'est pas nécessairement un mauvais leader"
, affirmait en 2016 à Jeune Afrique cet homme au débit lent mais aux mots soupesés, au besoin tranchants, notamment contre son homologue Félix Tshisekedi.

Graduellement, le stratège a aussi changé de stature, tandis que la communauté internationale n'en finissait pas d'être rongée par son inaction lors du génocide. Le Rwanda, réputé non corrompu, s'est imposé en partenaire économique, diplomatique et militaire clé, en Afrique et au-delà.


"Le Kagame de 2025, ce n'est pas le même Kagame qu'en 2012. Il est maintenant conscient de son importance sur la scène internationale"
, poursuit Onesphore Sematumba.

En 2012, lors d'une première et brève prise de Goma par le M23, le Rwanda avait fait l'objet de pressions, notamment de Washington, pour qu'il cesse de le soutenir. Dissous en 2013, le groupe armé s'est réveillé en 2021.

Mi-janvier, le président rwandais a prononcé, devant un parterre de diplomates invités à déjeuner, un discours grandement consacré au chaos dans l'Est congolais.


"Pour vous, c'est juste quelque chose dont vous parlez (...) quand vous jouez au football, au tennis ou au golf"
, leur a-t-il lancé.
"Pour moi et mon peuple, c'est une question de vie et de mort".

En préambule, il s'était excusé si son discours devait
"leur couper l'appétit".

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