Une nouvelle carte jouée en Afrique : le Somaliland

12:2931/12/2025, mercredi
MAJ: 31/12/2025, mercredi
Cemil Doğaç İpek

Le 26 décembre 2025, Israël est devenu le premier pays à reconnaître officiellement l’indépendance proclamée de longue date par le Somaliland. La motivation d’Israël ne relève évidemment pas d’une sympathie particulière pour le Somaliland, mais bien de considérations sécuritaires et stratégiques. Ce territoire contrôle une large partie du littoral somalien sur la mer Rouge et se situe juste en face du sud du Yémen. Le Somaliland constitue ainsi une "base clé" potentielle pour les opérations israéliennes

Le 26 décembre 2025, Israël est devenu le premier pays à reconnaître officiellement l’indépendance proclamée de longue date par le Somaliland. La motivation d’Israël ne relève évidemment pas d’une sympathie particulière pour le Somaliland, mais bien de considérations sécuritaires et stratégiques. Ce territoire contrôle une large partie du littoral somalien sur la mer Rouge et se situe juste en face du sud du Yémen. Le Somaliland constitue ainsi une
"base clé"
potentielle pour les opérations israéliennes contre les mandataires de l’Iran au Yémen.

Le Somaliland a proclamé unilatéralement son indépendance en 1991, à la suite de la guerre civile somalienne. Depuis lors, il contrôle effectivement ses frontières, organise régulièrement des élections et a mis en place une structure politique relativement stable. Toutefois, comme on le sait, le droit à l’autodétermination en droit international ne peut être exercé que lorsque certaines conditions sont réunies. Tous les groupes ne peuvent pas déclarer leur indépendance de leur propre initiative. En l’occurrence, les conditions requises ne sont pas réunies et la déclaration d’indépendance du Somaliland est donc illégale. Cette lecture a d’ailleurs été largement partagée par la communauté internationale.


Un "État de facto" au fonctionnement singulier


Bien qu’il ne soit pas reconnu internationalement en raison de son incompatibilité avec le droit international, le Somaliland est considéré comme l’un des exemples les plus institutionnalisés d
’"État de facto"
dans la Corne de l’Afrique. Cette singularité le place en marge de la littérature classique sur les
"États défaillants"
et en fait un cas atypique dans les relations internationales.

À ce stade, certaines caractéristiques propres au fonctionnement interne du Somaliland prennent une importance particulière aux yeux d’Israël. L’ordre politique y repose sur une synthèse originale entre structures claniques traditionnelles et institutions étatiques modernes. Cette configuration a permis l’émergence d’un modèle de gouvernance relativement résilient et doté d’une légitimité locale. Pour Israël et ses alliés du Golfe, le Somaliland apparaît ainsi comme un partenaire prévisible plutôt que comme une
"zone grise"
instable.

Israël, La Türkiye et la recomposition des équilibres régionaux


Il ne fait aucun doute que la reconnaissance du Somaliland par Israël s’inscrit dans une rivalité plus large avec les puissances régionales, au premier rang desquelles figure La Türkiye. La Türkiye a réalisé d’importants investissements en Somalie : construction de l’une des plus grandes ambassades turques au monde à Mogadiscio, financement d’hôpitaux et de projets d’infrastructure, formation de soldats somaliens. Mogadiscio est ainsi devenue un point d’ancrage stratégique majeur pour Ankara dans la région. Parallèlement, La Türkiye maintient une présence au Somaliland par l’intermédiaire de son consulat à Hargeisa et d’ONG turques actives notamment dans le domaine éducatif. Défendant de longue date l’unité de la Somalie et jouant un rôle de médiation entre Mogadiscio et Hargeisa, Ankara perçoit très négativement la reconnaissance du Somaliland comme État indépendant.


En reconnaissant le Somaliland, Israël remet en cause cette stratégie à sa manière. Ce choix l’aligne sur les rivaux régionaux de La Türkiye, en particulier les Émirats arabes unis, inquiets d’une expansion accrue de l’influence turque dans la Corne de l’Afrique. Abou Dhabi construit d’ailleurs discrètement sa propre base au Somaliland.

La reconnaissance israélienne offre ainsi aux Émirats arabes unis une
"opportunité stratégique"
pour contrebalancer l’influence d’Ankara dans la région. En consolidant le Somaliland, Israël et ses alliés du Golfe accroissent également la pression exercée sur les Houthis et, plus largement, sur Téhéran.

Le territoire du Somaliland facilite à la fois la surveillance et d’éventuelles frappes israéliennes contre les Houthis soutenus par l’Iran au Yémen. En résumé, l’initiative israélienne vise aussi à afficher sa puissance face aux réseaux de mandataires iraniens et à sécuriser un axe vital du commerce mondial : la mer Rouge.


Cette décision s’inscrit par ailleurs dans une stratégie israélienne de retour vers l’Afrique. Israël a rouvert plusieurs ambassades sur le continent, notamment en Zambie en 2025 après cinquante ans d’absence, et a retrouvé son statut d’observateur auprès de l’Union africaine, brièvement suspendu par le passé. Dans ce contexte, la reconnaissance du Somaliland peut être interprétée comme une manifestation concrète de la volonté israélienne d’installer une présence géopolitique durable dans la Corne de l’Afrique.


La décision comporte néanmoins des risques politiques et juridiques significatifs. Reconnaître une entité séparatiste à majorité musulmane pourrait affaiblir les arguments d’Israël sur la question palestinienne en créant un précédent. Tel-Aviv a toutefois choisi de privilégier la sécurité à la cohérence normative, acceptant ce risque. Ce choix illustre la
"flexibilité fondée sur les intérêts"
qui caractérise la politique étrangère israélienne ces dernières années.

La position des États-Unis est restée plus prudente. Washington a réaffirmé son soutien à une Somalie unie et adopte, jusqu’à présent, une attitude distante vis-à-vis de la reconnaissance du Somaliland. Cette prudence montre que la décision israélienne ne bénéficie pas encore d’un large appui international. Le risque d’un effet domino provoqué par des reconnaissances unilatérales ne peut toutefois être exclu à moyen terme.


En définitive, le Somaliland, longtemps méconnu et marginalisé, se retrouve désormais au cœur de la concurrence stratégique internationale à la suite de la décision israélienne. L’accès à Bab el-Mandeb, les avantages opérationnels face aux mandataires de l’Iran et les nouvelles perspectives d’alliances dans la Corne de l’Afrique offrent à Israël des bénéfices jugés supérieurs aux coûts diplomatiques. Même si l’on ignore encore si d’autres acteurs suivront cette voie, il est clair que le Somaliland ne sera plus traité comme une simple
"région non reconnue"
, mais comme un acteur à part entière des luttes de pouvoir régionales.
Cette évolution annonce une montée des tensions dans la Corne de l’Afrique.
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