
À Paris, le licenciement de Majdouline B., infirmière à l’hôpital Pitié Salpêtrière depuis 2018, a déclenché une mobilisation importante ces dernières semaines.
La soignante a été radiée de la fonction publique et licenciée le 10 novembre 2025 pour avoir porté quotidiennement un calot chirurgical en dehors des zones où il est requis pour des besoins de soins ou d’hygiène, selon l’AP HP.
Contestations juridiques et position de l’AP HP
Majdouline B. a contesté son licenciement en référé devant le tribunal administratif de Paris, arguant qu’aucune disposition légale ou règlementaire n’interdit formellement le port d’un couvre-chef de ce type dans son service de médecine interne.
Elle a souligné que le calot n’a jamais été un équipement fourni par l’établissement et qu’il ne constitue pas, dans son cas, une expression religieuse, mais une pièce de tenue vestimentaire, sans lien avec un signe religieux ostensible.
L’AP HP a défendu sa décision en invoquant des considérations d’hygiène, affirmant que le règlement interne interdit le port continu du calot dans des zones où il n’est pas requis par les besoins de service, notamment lorsqu’il n’est pas fourni par l’hôpital. L’argument initial selon lequel le port du calot pourrait être perçu comme une atteinte au principe de neutralité des services publics a été présenté devant la justice avant d’être partiellement écarté en cours de procédure.
Discrimination et "chasse aux calots" : dénonciations syndicales
Dans une déclaration relayée par plusieurs médias, Blandine Chauvel, assistante sociale à l’AP HP et élue du syndicat Sud Santé, a expliqué que ce type de sanction ne concernait pas seulement Majdouline B., mais plusieurs dizaines de femmes dans différents établissements hospitaliers.
Selon elle, environ 20 collègues à la Pitié Salpêtrière, dont neuf ont quitté l’hôpital, ainsi que des cas similaires à Lyon, Marseille et Rennes, ont été recensés depuis 2025. Elle a dénoncé des convocations répétées, des contrôles sur la vie privée et la demande de certificats médicaux pour justifier le port de couvre-chefs dans un contexte de pénurie de personnel soignant.
Rassemblement de soutien et témoignages
Le 23 décembre 2025, une cinquantaine de personnes — collègues, syndicalistes et militants — se sont rassemblées devant le tribunal administratif de Paris pour exprimer leur soutien à Majdouline B. et pour dénoncer ce qu’ils qualifient de discrimination systémique fondée sur l’apparence ou sur la perception des convictions religieuses. La Ligue des droits de l’Homme s’est portée partie civile dans cette affaire, renforçant l’enjeu symbolique et juridique du dossier.
Interpellations politiques et débat national
L’affaire a dépassé le cadre hospitalier pour devenir un sujet de débat politique national. Plusieurs parlementaires ont déposé des questions écrites au gouvernement, interrogeant les autorités sur ce qu’elles entendent faire face à ce qu’ils qualifient de discriminations religieuses dans le milieu hospitalier public.
Parmi ces interventions figurent des questions intitulées "Discriminations religieuses à l’hôpital public : que fait l’État ?" déposées le 23 décembre 2025. Les auteurs y soulignent que le calot, bien que fréquemment porté dans les hôpitaux, ne saurait être assimilé à un signe religieux ostensible, et appellent à des clarifications sur l’application du principe de neutralité.
Ces interpellations rappellent que la laïcité, telle que codifiée dans la loi de 1905, vise à garantir la neutralité de l’État et la liberté de conscience, mais qu’elle doit être appliquée de manière cohérente et non discriminatoire dans le cadre du service public.
Laïcité, neutralité et discrimination perçue
Le débat sur le licenciement de Majdouline B. s’inscrit dans un contexte sociétal plus large en France, où la mise en œuvre du principe de laïcité fait régulièrement l’objet de controverses, notamment lorsqu’il concerne le personnel de la fonction publique.
Selon certains observateurs, l’interprétation stricte du guide de laïcité de certains établissements peut conduire à des décisions incohérentes ou arbitraires. Dans le cas de l’AP HP, le guide de la laïcité interne aurait été considéré trop vague, d’après les critiques, et susceptible de mener à des décisions jugées injustifiables sur la base de l’apparence physique ou de la consonance des noms et prénoms des agents, notamment lorsque ces derniers sont perçus comme appartenant à une communauté religieuse particulière.
Ces critiques rejoignent celles formulées à propos d’autres affaires en France, telles que l’affaire de la crèche Baby Loup, dans laquelle une salariée fut licenciée pour port de voile islamique, un cas qui a alimenté des débats juridiques sur l’étendue du principe de neutralité dans le service public et les risques de discrimination indirecte.
Tensions dans les hôpitaux publics
L’affaire intervient alors que le secteur hospitalier public français traverse une période de fortes tensions structurelles, marquée par une pénurie chronique de personnel, une charge de travail accrue et une dégradation des conditions de travail dans de nombreux services.
Pour d’autres observateurs, la remise en cause du port de couvre-chefs, même non religieux, soulève des questions juridiques, professionnelles et éthiques : le couvre-chef hospitalier, originellement un élément de tenue hygiénique, ne saurait être assimilé à un symbole religieux de manière unilatérale, et cette interprétation pourrait ouvrir la voie à des décisions potentiellement discriminatoires si elle n’est pas strictement encadrée juridiquement.
Perspectives judiciaires
Le jugement de la juridiction administrative est attendu dans les semaines qui suivent. Il devrait apporter un éclairage judiciaire sur l’équilibre entre les règles internes d’hygiène, le principe de neutralité et la protection des droits des personnels soignants.
Au-delà de la situation individuelle de Majdouline B., ce dossier risque d’alimenter des discussions plus larges — au niveau juridique, politique et social — sur la manière dont la laïcité est appliquée dans les établissements publics et sur les risques de discrimination fondée sur l’apparence ou la perception des convictions religieuses.











